D'où viens-tu, berger ?
Il y a, dans l'oeuvre de Douglas Adams, ce curieux personnage s'étant offert un refuge de la folie universelle: celui qui s'en approche y voit, à l'extérieur des mûrs, tout l'ameublement qui se trouverait normalement à l'intérieur: chaises, tables, cuisine, salon et télévision; l'habitant passe donc la plupart de son temps dans cet intérieur extérieur, discutant avec grande patience et douce synpathie avec les nombreux passants qui s'interrogent sur cecurieux phénomène. Le toît s'échappe des mûrs vers l'univers, laissant croire qu'au centre de ces murs se trouve un ciel ouvert. En y "entrant", on découvre que ce qui semble à priori une cours intérieure est en fait décorée tel l'extérieur. Les mûrs intérieurs sont briquelés, quelques fleurs longent les mûrs, la toîture qui s'échappe vers l'extérieur est garnie de tuiles et bardeaux. À gauche de la porte se trouve une boîte aux lettres et une affiche conseillant aux passants de mesurer leurs paroles et gestes puisqu'ils entrent dans le plus grand asile psychiatrique du monde. Notre habitant, lorsqu'il en sent le besoin, en sort à l'occasion.
Mathyas Lefebure a publié chez Leméac "D'où viens tu, berger ?", les traces d'une sortie peu ordinaire des rythmes artificiels d'une vie videment productive au coeur d'une agence de publicité montréalaise: il quitte tout et donne tout pour se faire berger en Provence et Isère. Du contact rébarbatif avec une réalité qui tarde à s'effeuiller en essence de rêve, à la découverte d'un paradis enfin digne d'être perdu, Mathyas s'emporte, décris et appelle par sympathie le lecteur à travers sa libération: l'apprentissage enjoué des gestes du métier (même les plus rébarbatifs), la quête par essais d'une réalité qui lui convient enfin, l'interaction avec l'envahissement de plus en plus occasionnel de cet extérieur fou, la découverte d'un îlot du monde où s'étend enfin une essence gênée des règles et contraintes non choisies, en marge d'un Loup tant réel que symbolique. Le texte, jouissif et libérateur, teinté des lectures d'un gradué de philo, cherche une précision lyrique qui qualifie bien l'écart entre idéal et réalité que l'auteur navigue et habite. Mathyas nous invite dans cette cour intérieure, à l'écart des fous.
Les lieux et faits me sont familiers; l'Isère de ces jours est celle que j'habitais. Au détour d'un café terminant un long repas bien arrosé en marge de Grenoble, mon interlocuteur me parlait d'un troupeau attaqué la veille par le Loup; la présence du Loup et de l'Ours en France rurale est sujet hautement politique, divisant les idéologues écologistes (habituellement urbains) des éleveurs porteurs de traditions intéressées. Au lever, cet intelocuteur me lance, par mystère complice dont le sens m'a complètement échappé alors -- ce qui ne m'a pas empêché de l'y chercher sans fins -- "le berger est Canadien". Tiens donc.